La science est aujourd’hui formelle : sous l’effet du soleil, la peau et les microbiotes intestinal et cutané interagissent pour permettre à notre organisme de rester en bonne santé.
Que sait-on aujourd’hui de ces interactions ? La recherche est encore balbutiante, mais les études permettent déjà d’entrapercevoir combien ces échanges sont à la fois riches et précieux pour l’organisme. Petit tour d’horizon.
Le microbiote cutané, un allié pour notre santé
La peau est l’organe le plus grand de notre organisme. C’est la première ligne de défense contre les agressions extérieures. La peau abrite aussi un ensemble extrêmement varié de microorganismes bénéfiques. C'est le microbiote cutané. Parfois aussi appelé microbiome, il vit en symbiose avec notre corps tout en interagissant avec l’environnement.
Les bactéries, virus, champignons et parasites (acariens) qui le constituent forment un véritable écosystème. Celui-ci se nourrit des substances présentes à la surface de la peau (sueur, cellules mortes, sébum…) et contribue en retour à exercer un rôle de barrière contre les pathogènes et à maintenir l’homéostasie de la peau et la santé globale de l’organisme (1).
Une protection contre les agressions extérieures
Plus de 1000 milliards de bactéries et 1000 espèces de virus vivraient ainsi à la surface de notre peau. On sait aujourd’hui que ce microbiote cutané est capable de sécréter des molécules acides ou antibactériennes, et ainsi de freiner ou d’inhiber la prolifération des microorganismes étrangers susceptibles d’attaquer l’organisme. On sait aussi qu’il peut stimuler les mécanismes de défense de l’épiderme et d’« éduquer » le système immunitaire inné et acquis, jouant ainsi un rôle bénéfique dans l’immunité locale (2).
Lorsque l’équilibre du microbiote cutané est rompu, lorsqu’il s’appauvrit ou se fragilise, un certain nombre de problèmes de peau peuvent survenir (3).
Comment le soleil module le microbiote cutané
Plusieurs études ont démontré que les rayons UV du soleil avaient des effets bénéfiques sur la composition et l’activité du microbiote cutané.
Dans un essai publié en février 2019, des chercheurs ont exposé les bras et le dos d’un groupe de 6 hommes, âgés de 19 à 35 ans, à différentes doses d’UVA ou d’UVB. L’analyse de prélèvements effectués à la surface de la peau montre des modifications significatives de leur microbiote, avec notamment un enrichissement en bactéries du groupe des Cyanobacterias (4)
Une autre étude a montré que les UV pouvaient freiner le développement de Cutibacterium acnes, une bactérie liée au développement de l’acné (anciennement Propionibacterium acnes), en réduisant sa capacité à synthétiser un composé indispensable à sa survie, appelé porphyrine (5).
Une protection de la peau contre les effets néfastes du soleil
Certaines bactéries du microbiote cutané sont capables de synthétiser des composés comme les acides aminés analogues de la mycosporine qui, en absorbant les UV, peuvent offrir une protection de la peau (6). Ces microorganismes peuvent aussi produire des molécules antioxydantes (vitamines C et E, caroténoïdes) et des enzymes (superoxyde dimutase SOD, catalase...) dont les effets pour réduire le stress oxydatif généré par l’exposition au soleil sont aujourd’hui bien connus.
En avril 2021, des scientifiques ont cherché à savoir comment Staphylococcus aureus et Staphylococcus epidermidis, deux bactéries du microbiome cutané, adhéraient à la peau humaine. Ils ont découvert qu’elles le faisaient en synthétisant un « biofilm » contenant de l’ADN extracellulaire (eADN), un composé capable lui aussi de protéger la peau contre le stress oxydatif lié à l’exposition aux UV (7).
Il semblerait enfin que la bactérie Micrococcus luteus, une autre bactérie du microbiome, pouvait contrer certains effets délétères des rayons UV sur le système immunitaire en neutralisant certains composés toxiques, comme l’acide cis-urocanique produit par la peau lors de l’exposition au soleil (8).
Par ailleurs, d’autres études ont mis en évidence que certains champignons appartenant au genre malassezia, qui vivent sur la peau humaine en se nourrissant de débris cellulaires, peuvent produire de la mélanine ou des pigments ayant une structure proche de la mélanine. Ceux-ci protégeraient à la fois le champignon et la peau contre les rayons du soleil. (9) !
Le microbiote intestinal aussi interagit avec le soleil
Comme la peau, les intestins constituent une vaste niche pour les microorganismes. Le tube digestif abrite ainsi un microbiote intestinal composé de 50 000 milliards de bactéries, levures, champignons, virus… concentré essentiellement dans l’intestin grêle et le côlon (10). Cette vaste communauté rend de nombreux services à l’organisme (lire encadré). Bien que le microbiote soit situé au cœur de notre organisme, à l’abri de la lumière du soleil, plusieurs études montrent qu’il pourrait bien, lui aussi, être en interaction avec les rayons UV.
Comment l’idée d’étudier les effets du soleil sur le microbiote intestinal est venue aux chercheurs ? On sait depuis longtemps que les personnes peu exposées au soleil souffrent davantage de troubles chroniques de l’intestin (11). Les personnes touchées présentent souvent des taux de vitamine D inférieurs à la moyenne et souffrent généralement de déséquilibre du microbiote. La vitamine D étant synthétisée par la peau sous l’effet du soleil, il n’y avait qu’un pas pour faire le lien entre microbiote et soleil. Plusieurs scientifiques ont cherché à le documenter.
Les 4 grandes fonctions du microbiote intestinal
- Protection de l’organisme : en occupant le terrain à la surface des cellules de l’intestin et en stimulant la sécrétion de mucus, le microbiote intestinal empêche les microorganismes pathogènes et les toxines transitant dans le tube digestif de perturber l’organisme.
- Digestion : en favorisant l’absorption de certains nutriments (acides gras, calcium, magnésium…), en fermentant les parties non digérées des aliments (fibres) ou en métabolisant certains glucides, le microbiote intestinal libère des composés bénéfiques pour notre santé.
- Nutrition : le microbiote intestinal synthétise des micronutriments (vitamine K, certaines vitamines B, certains acides aminés comme la valine ou l’isoleucine…) et des métabolites qui modulent le fonctionnement de nos cellules, notamment celles impliquées dans les processus inflammatoires.
- Immunité : le microbiote intestinal contribue à la maturation et à l’activation des cellules du système immunitaire de l’intestin et de l’organisme avec lesquelles il interagit en permanence.
Les UV favorisent la richesse et la diversité du microbiote
En octobre 2019, une équipe canadienne a mis en évidence, chez un groupe de femmes en bonne santé, que 3 séances d’UVB d’une durée de 1 minute au cours d’une seule semaine suffisaient à modifier positivement le microbiote intestinal (12). Parmi les volontaires, celles qui ne prenaient pas de supplément de vitamine D avaient, avant l’étude, un microbiote moins diversifié et moins équilibré que celles qui étaient supplémentées. Après les 3 séances, la richesse de leur microbiote était identique dans les deux groupes. Cette étude, la première du genre, suggère non seulement que la production de vitamine D sous l’effet du soleil pourrait contribuer à améliorer le microbiote, mais aussi qu’il existe un axe peau-intestin (lire encadré) capable de promouvoir l’homéostasie et la santé intestinale.
Ces résultats inédits ont été confirmés l’année suivante dans une étude montrant le même type de signature dans le microbiote des Yanomani, des chasseurs-cueilleurs vivant dans la nature, exposés au soleil la majeure partie du jour (13).
Un effet anti-oxydant qui ne serait lié qu’en partie à la vitamine D
Mais il semblerait que les effets bénéfiques du soleil sur le microbiote intestinal ne soient pas uniquement liés à la production de vitamine D. Une étude menée cette fois sur des souris a montré que l’exposition aux UV entraînait certes des modifications significatives du microbiote (enrichissement en Firmicutes et appauvrissement en Bacteroidetes), mais aussi une modulation des médiateurs de l'oxydation(14). Mais cet effet anti-oxydant était indépendant des taux de vitamine D.
En effet, la vitamine D et les UV moduleraient chacun l’immunité innée et acquise à travers différents mécanismes physiologiques, certains communs et d’autres indépendants (15). Il apparaît notamment que ces mécanismes sont indispensables à la régulation de l’immunité gastro-intestinale et à la baisse des inconforts dans l’intestin.
Les différentes formes de vitamine D ne seraient pas toutes liées à l’exposition au soleil et pourraient ne pas toutes avoir les mêmes effets sur le microbiote. Des chercheurs ont voulu savoir quel impact avait le degré d’exposition au soleil sur le microbiote intestinal et la synthèse de vitamine D. Ils ont prélevé les selles de 567 hommes âgés (84 ans en moyenne) habitant différentes régions des États-Unis pour analyser la composition de leur microbiote et ont mesuré leurs taux de vitamine D. Les résultats, publiés en novembre 2020 dans la prestigieuse revue Nature, montrent deux choses (16) :
- D’abord que les hommes ayant les taux de vitamine D active (1,25(OH)2D) les plus élevés — et non la forme précurseur 25(OH)D — sont ceux qui présentaient les modifications les plus bénéfiques de leur microbiote, notamment un enrichissement en bactéries productrices de butyrate, un acide gras à chaîne courte propice à une bonne santé gastro-intestinale.
- Ensuite, que les taux de vitamine D active ne sont pas liés à l’exposition au soleil ou à la supplémentation, mais à la capacité individuelle à transformer la vitamine D précurseur en vitamine D active.
L’axe peau-intestin : une véritable communication entre les microbiotes
On le sait aujourd’hui : de nombreux problèmes de peau comme l’acné, la dermatite atopique, le psoriasis ou la rosacée sont provoqués par des déséquilibres du microbiote cutané, mais aussi par des déséquilibres du microbiote intestinal (17). Ceci suggère l’existence d’une communication entre la peau et ces deux populations de microbes. Mais par quels médiateurs cette communication peut-elle s’effectuer ?
Il semblerait que certains métabolites produits par les microorganismes vivant dans l’intestin agissent au niveau de la peau (18). Par exemple, les acides gras à chaîne courte (AGCC), comme l’acétate ou le propionate, issus de la fermentation des fibres par les bactéries, modifieraient les profils bactériens du microbiote cutané. Ces AGCC auraient aussi un effet anti-oxydant sur la peau. L’acide propionique, également synthétisé par les bactéries du microbiote intestinal, aurait quant à eux un effet contre les bactéries de type staphylocoques, à l’origine de certaines infections de la peau.
En résumé
Même si les résultats de ces différentes études doivent encore être confirmés, ce sont les premiers pas dans l’exploration d’un nouveau continent. Ils montrent que :
- L’exposition au soleil modifie de manière positive le microbiote cutané ;
- Le microbiote cutané pourrait contribuer à protéger la peau du rayonnement solaire et à lutter contre ses effets délétères ;
- Le soleil modifie positivement le microbiote intestinal, probablement en partie grâce à la vitamine D ;
- Le soleil aurait un effet positif sur la diversité du microbiote intestinal ainsi que des effets anti-oxydants et immunomodulateurs ;
- Il existe un axe peau-intestin qui semble jouer un jeu fondamental dans le maintien de l’homéostasie du corps et la santé intestinale.
Affaire à suivre…
Longtemps sous-estimé, le microbiote est perçu aujourd’hui comme un véritable organe, à la fois extrêmement riche et particulièrement complexe.
Les prochaines études viseront à mieux comprendre quels paramètres du microbiote sont mis en jeu lors d’une exposition solaire, par quelles voies métaboliques les microorganismes y répondent et quels effets sur l’organisme ces processus engendrent.
Les chercheurs espèrent mieux comprendre certains troubles physiologiques, mais surtout trouver de nouveaux moyens de prévention et de nouvelles pistes thérapeutiques.
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